L’invention de la mélinite
Au cœur du carré des tombes anciennes du cimetière de Pontoise trône un imposant caveau qui ne manque pas de retenir l’attention. Un nom et une qualité d’inventeur y sont gravés en lettres d’or.
En effet, Eugène Turpin n’a pas seulement été l’ami simple et désintéressé ou l’éleveur de pigeons propriétaire d’une jolie villa au bord de l’eau, quai du Pothuis. Ce fils de cordonnier, fabricant de jouets en caoutchouc et chimiste, a été l’une des personnalités françaises les plus en vue de la fin du XIXème siècle.
En 1881, l’homme au chapeau melon et aux moustaches recourbées dignes d’Hercule Poirot découvre le premier ‘’explosif panclastique’’ aux effets bien plus destructeurs que la dynamite. Mais la considération du Ministère de la Guerre pour sa création fait défaut car il n’est ni polytechnicien, ni diplômé de l’École des Mines.
Ses connaissances scientifiques sont remises en cause pourtant, cet ‘’ingénieur de circonstances’’ prouve son génie en 1885 en découvrant les propriétés de l’acide picrique, qu’il parvient à stabiliser par pressage dans le coton. Un nouvel explosif, baptisé ‘’mélinite’’ en raison de sa couleur proche du miel, voit le jour.
Cette fois, l’Armée ne peut nier l’évidence de son talent et l’intérêt de son invention. La ‘’mélinite’’, excellent moyen de défense, révolutionne l’art militaire en remplaçant la poudre noire et en augmentant les effets de l’explosion des obus.
Eugène Turpin vend en 1887 son procédé au Ministère de la Guerre pour 250 000 francs et est décoré de la Légion d’Honneur.
En procès contre Jules Verne
La reconnaissance est néanmoins de courte durée pour l’inventeur, injustement condamné pour avoir vendu son procédé à la irme anglaise Armstrong et au gouvernement allemand.
Incarcéré un an à la prison d’Étampes, il est inalement libéré le 10 avril 1893, puis réhabilité et dédommagé. Sa grâce est due à une campagne d’opinion menée par ‘’Le Petit Journal’’, le quotidien le plus vendu au monde à cette époque.
Cet épisode et le destin peu commun de Turpin inspire le romancier à succès, Jules Verne. Dans ‘’Face au drapeau’’, paru en 1896, l’auteur de ‘’Vingt mille lieues sous les mers’’ dresse le portrait de Thomas Roch, le premier savant fou de la littérature d’anticipation, qui ressemble sur de nombreux points à Eugène Turpin.
L’inventeur traîne Jules Verne en justice pour diffamation. Le bras de fer durera toute l’année 1897. Finalement, le romancier et son éditeur, défendus par Raymond Poincaré, le futur président de la République, sont relaxés.
Loin du tumulte, le concepteur de la mélinite résidera les trente dernières années de sa vie à Pontoise, où il s’éteindra le 24 janvier 1927, emporté par une défaillance pulmonaire.
Une partie du quai du Pothuis a été rebaptisée à son nom.